La dalle d'Argentine
Non, l'Argentine, ce n'est pas seulement en Amérique du sud! C'est aussi en Suisse, dans les Alpes vaudoises, près des massifs des Diablerets et des Muverans ( à 760 km de Liège). Cette montagne calcaire qui est aussi une réserve naturelle (camping sauvage interdit) culmine à 2.200 m. Elle s'appelle « l'Argentine » et est située à l'alpage de Solalex (1.500m d'altitude). Elle doit son nom à la couleur argentée de ses « miroirs », de grandes dalles penchées qui sont, paraît-il, les plus belles des Alpes! Une d'entre elles est particulièrement intéressante, elle fait de 450 à 500 mètres de haut, est convexe et lisse et s'appelle Le Grand Miroir. Celui-ci a été vaincu pour la première fois en 1922 par trois étudiants de Lausanne dont un s'appelait JP Vittoz (tiens, tiens!) et ce, sans semelles en caoutchouc ni « Vibram »mais bien avec des « Tricounis »(chaussures à clous)!
Cette dalle, plusieurs copains spéléos (B.Urbain, JC.Vittoz, Ch.Hooge….) nous en avaient parlé avec beaucoup d'enthousiasme. Et comme, exceptionnellement, aucune expé n'était envisagée cette année par le CRSL, alors, pourquoi pas la Suisse? D'autant plus que, Benoît et moi, devions de toutes façons y aller pour toucher nos dividendes à l' UBS* (Union des Banques Suisses). Dès lors, pourquoi ne pas « faire » ce Grand Miroir?
Gravie pour la première fois le 1 er septembre 1926 (sans piton ni marteau et en moins de trois heures) par un trio de grimpeurs suisses (un « catalogue? »), la voie Normale, appelée aussi Normale de l'Y, est de suite devenue « La » classique de l'Argentine et une des plus belles escalades de Suisse. Cette voie et d'autres ( la directe, l'Y…) ont été rééquipées par les guides vaudois mais cela reste de l'équipement « montagne », les sangles, Friends et autres coinceurs ne sont pas donc de trop, mais surtout, n'oubliez pas votre casque!
C'est donc avec cette belle voie comme objectif principal que nous sommes partis un beau matin, le cœur léger vers l'Helvétie de nos rêves (sans avoir pris celle-ci pour des lanternes!)
C'est pour finir à douze personnes dont cinq grimpeurs que nous nous sommes retrouvés le samedi 12 août en soirée au camping « Les Frassettes » à Gryon (plus exactement à Barboleusaz) :
* (Clin d'œil à l' U nion B elge de S péléologie).
Refuges proches du « miroir » :
Refuge de SOLALEX 024/498.15.95
SOLALEX 024/498.14.46
Refuge de la tour à ANZEINDAZ 024/498.11.47
ANDEINDAZ 024/498.22.95
Refuge du MIROIR 025/59446
Refuge de Frience(Alpes des Chaux s/Gryon) 024/4981426
Autres possibilités de logement :
Hôtels : nombreux mais bonjour les prix !!
Voiture : mais bonjour le confort !!
Camping sauvage : mais bonjour monsieur l'agent !!
Chez l'habitant :
-Squat, mais vivement déconseillé par notre ambassadeur à jeeu-nééf !
-Si réglo OK mais alors casse-couilles !
Camping "Les Frassettes" à Gryon (plus exactement à Barboleusaz)
Téléphone: +41(o)24/498 410 88 Email: cccv@worldcom.ch
Autre camping à Gryon
CPAS local ( C hambres P our A lpinistes et S péléos)------s'adresser au syndicat d'initiative local !
L'ascension :
D'après un ami qui avait fait la dalle deux ans auparavant, quatre heures suffisaient largement pour faire la voie normale. De plus, comme il s'agissait d'une course facile (4+ max.), il emmenait même son fils (treize ans) avec lui. C'est donc sans nous presser que nous avons préparé le matériel le dimanche matin. La montée très raide (1h30)d'un éboulis nous amenas seulement vers midi au pied du Grand Miroir, juste au départ de la voie Normale. Deux cordées de trois personnes furent formées, la première était composée de mon ami, de son fils et de moi-même, l'autre, de Benoît, Jean-Paul et de Jean-Gérard (JG).
Les ennuis commencèrent après les 3 ou 4 premières longueurs, ce fut d'abord des chutes de pierres : nous entendions parfois d'impressionnants sifflements lorsqu'elles nous frôlaient. En effet, vu l'heure tardive de notre départ et aussi parce que nous étions un dimanche, de nombreuses cordées nous précédaient avec en leur sein quelques maladroits. Peu après, c'est un sac à dos venant du sommet qui dévala la paroi sous nos yeux!
De plus, nous ne voyions toujours pas arriver la deuxième cordée. Une heure plus tard, nous aperçûmes Benoît…. au pied de la dalle! Sa cordée avait fait demi-tour, les chutes de pierres avaient eu raison de leur envie de grimpe!
De notre côté, nous n'avancions plus. En effet, les cordées précédentes se traînaient lamentablement. Les heures passaient et, après mûres réflexions (logique…sur un miroir), je proposais à Christian de faire demi-tour mais, après discussions, nous continuâmes.
Devant nous, toutes les cordées prenaient la même direction en obliquant à droite sur une vire. Mais un doute me hantait sur la direction à prendre, et je demandais plusieurs fois confirmation aux grimpeurs précédents mais la réponse était toujours la même : « Oui, c'est bien la Normale! » Le temps passait et le ciel commençait dangereusement à s'obscurcir. Aie!
L'orage :
Nous étions maintenant bloqués depuis un bon bout de temps derrière une cordée suisse composée du père, du fils mais, hélas, pas du Saint-Esprit . En effet, ils n'arrivaient pas à franchir un pas délicat car la paroi bombée à cet endroit venait d'être arrosée par une petite pluie fine. Voyant les heures tourner et le temps se gâter, je leur proposais de passer en tête ce qu'ils acceptèrent sans hésiter. Le pas délicat franchi, j'aperçus légèrement sur ma gauche la sortie de la dalle à 100m maximums mais il y avait encore quelques pas difficiles à franchir, je compris à cet instant que nous n'étions pas du tout sur la bonne voie. Je me demandais comment les autres allaient y arriver (« Quoique, en les tirant un peu, ça devrait passer » pensai-je). C'est à ce moment que l'orage éclata et quel orage! La pluie fût si violente qu'elle nous empêcha presque de nous voir et de nous parler. En quelques minutes, la paroi fût couverte de cascatelles qui nous tombèrent dessus! Ensuite, ce fût la grêle! Si dense que la paroi en devint blanche et que notre vire disparut sous 5 cm de grêlons! Dès lors, il devenait impossible de continuer et la seule solution était d'attendre une accalmie puis d'essayer de tirer des rappels sur la paroi.
La descente :
La descente de la vire oblique fût un poème! Un des suisses, le père Norbert, n'était pas vraiment Casteret et était d'une lenteur phénoménale! Son fils, lui, très « doué », réussit à dévisser deux fois sur 50 m. (« Danke schöne, Philippe »).
Le sauvetage :
J'étais au pied du premier rappel vertical et je m'apprêtais à faire descendre Sébastien en moulinette lorsque l'hélicoptère rouge de la Rega (sauvetage en montagne) apparut et se mit en vol stationnaire à la hauteur de mes compagnons d'infortune, donc à une trentaine de mètres au-dessus de moi. La paroi bombée m'empêchait de voir les autres et je leur criais de faire comprendre à l'hélico que notre descente continuait normalement. A ce moment, j'ignorais que les deux suisses étaient en train de parler à l'équipage grâce à un portable et qu'ils acceptaient le sauvetage. Cela, je ne l'appris que 4 jours plus tard. Ensuite, tout alla très vite : nous vîmes l'hélico rejoindre une prairie à côté du hameau de Solalex et y charger deux sauveteurs du CAS (club alpin suisse), ceux-ci, pendu au bout d'un filin, furent déposés à une dizaine de mètres sur la gauche de mes compagnons. Voyant ces manœuvres, je remontais dans la niche (cheminée Moreillon) où tout le monde avait été regroupé et je dis aux sauveteurs que, comme je me sentais bien et que, de toutes façons, nous étions en nombre impair(l'hélico ne pouvant prendre que deux personnes à la fois), j'allais pouvoir continuer seul la descente sans problème. D'un geste lent mais ferme, l'un des guides me longea sur lui tandis que l‘autre lovait calmement ma corde de rappel. J'avais compris! Inutile de discuter et de les « emm…. ». De toutes façons, en voyant la mine déconfite de mes compagnons, je me dis que c'était mieux ainsi car nous allions peut-être au devant de gros ennuis : hypothermie (froid), graves erreurs d'inattention (fatigue), chutes de pierres (rochers humides) ou tout simplement dévissage…. Moi-même, je n'en menais pas large car les longues périodes passées à attendre m'engourdissaient de plus en plus.
Nous étions déjà frigorifiés par la grêle mais avec le souffle glacial de l'hélico au-dessus de nous, ce fût pire encore…(L'arrêt du ventilateur nous a même été refusé!)
Quelques minutes plus tard, l'hélico qui avait déjà déposé Christian et un des suisses dans la vallée, revint nous prendre. Cette fois, au bout du filin pendait un harnais spécial pour Sébastien. On accrocha ensuite le gros mousqueton du câble à mon delta et c'est avec Sébastien calé entre mes jambes que je fus emporté dans les airs. Après quelques secondes, l'hélico s'écarta brusquement de la paroi et ce fût pour moi le plus beau pendule de ma vie. Absolument génial! Génial mais c'est normal que ce soit mieux que l'élastique, à 48.000frs belges par personne!
( Maintenant, si votre assurance spéléo augmente, vous saurez pourquoi)
L'hélico se remis ensuite en vol stationnaire et le treuil commença à nous remonter sous le patin de gauche; du bras droit, je saisis le patin comme on me l'avait expliqué et, notre vrille arrêtée, nous pûmes enfin apprécier la vue superbe du Grand Miroir et des alentours. Les turbulences justes sous l'appareil étaient réchauffées par la chaleur dégagée par le moteur et cela nous fis le plus grand bien. Quelques secondes plus tard, le treuil commença à nous redescendre. Au sol, on nous décrocha rapidement et on nous emmena nous réchauffer dans l'auberge du village située juste à côté de la prairie. Benoît avait pensé à amener des vêtements chauds (merci Ben) et la soirée se termina avec nos sauveteurs devant un bon verre de fendant pour certains et de « Cardinal » pour d'autres. Durant cette soirée, six grimpeurs firent leur entrée et nous apprîmes que c'était eux qui, ne nous voyant pas sortir de la dalle, avaient averti les secours. C'est également a cause d'eux que nous perdîmes beaucoup de temps; en effet, une de leurs cordes avait été endommagée (ils durent la couper) suite à la chute d'un bloc ce qui les retarda beaucoup et….. nous de même. N'empêche, même si ce n'est pas nous qui avons lancer l'alerte, il faut admettre que sans leur initiative, il y aurait peut-être eu de graves problèmes.
Le saviez-vous ?
-C'est en 1911 qu'un Munichois, O.Herzog (surnommé Rambo) emprunte aux sapeurs-pompiers l'usage du mousqueton. Associé aux pitons et aux étriers, il ouvre de nouveaux horizons. C'est aux Dolomites (Italie) que se développe cette technique qui sera appliquée plus tard dans les Alpes .
-L'invention du rappel de corde est due à E.Whymper, elle date de 1860 lors des tentatives d'ascension du Cervin
- La descente en rappel est pratiquée selon différents systèmes. Le « cuisse-épaule» deviendra le plus adopté jusqu'à la popularisation des descendeurs, dans les années 70. Pourtant, il existe déjà dans les années 20 des « engins »pour les rappels, que se soit avec des cordelettes autour de la taille avec frein sur mousquetons ou un descendeur. Cependant, les Alpinistes d'alors pensent plus à monter qu'à descendre une paroi.
-Conçue en 1955 en Italie par VI tale BRAM ani, cette semelle révolutionne l'alpinisme. En fait, jusque-là, seuls le piolet et les crampons avaient été réellement créés pour l'alpinisme au siècle précédent. En complément à la semelle vibram, deux alpinistes hors pair, l'Italien R.Cassin et le Français P.Allain, se mettent à l'ouvrage afin de fabriquer un équipement répondant aux nouvelles exigences.
(extraits de « Les miroirs de l'Argentine » de Claude et Yves Remy, éditions Charlet)
: - Au Sud de Genèvre se trouve le Saléve, région qui doit une partie de sa réputation à la naissance, au XIX siècle, d'un nouveau sport : la « varappe » , du nom tiré de l'une de ses gorges. (extrait de Randonnées extraordinaires de Pierre Millon, éditions Glénat)
Les quatre voies principales de la dalle sont :
La « Papagena » : 5b ( passage de 5a obligé )
La « Normale » (ou l' Y )( 4 obligé ). : Voie de 4c Max (le dernier pas de 5a est shuntable )
La « Zygofolis » : 6c (6a obligé)
La « directe » : 5b (5a obligé). Celle-ci démarre au pied de la dalle à droite.
Attention : Au tiers de la dalle se situe le croisement entre la directe et la « Zigofalis » qui part à droite (les 2 sont suivies par un passage de 5c (beaucoup de gens se « gourent » à cet endroit). Le départ matinal est obligatoire car le retour est long et délicat (prenez une frontale au cas où !)
-Le surlendemain, Benoît et moi avons refait cette escalade en grimpant en alternés et, cette fois, par le bon itinéraire. Moins de quatre heures ont suffit et à midi, nous étions au sommet sans avoir eu la moindre difficulté!!!
Philou
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